
Lover of woods, of words, of flowers Lover yourself of the things I love Friendship was made of the quiet hours Hung between earth and the sky above.
Vita Sackville-West, The garden, 1946.
Lorsqu’à la sortie du tunnel sous la manche, vous roulez côté gauche en direction de Londres, vous êtes surpris s’il ne pleut pas, par la lumière qui filtre à travers les nuages. Au printemps, légèrement dorée, elle caresse les collines qui se dessinent de part et d’autres de la M20.
Vous allumez la BBC, vous tombez sur le Weather Forecast ou mieux, vous écoutez Lloyd Cole et vous prenez sur votre gauche à Ashford, une route étroite et sinueuse bordée de haies d’aubépines. Par chance, il fait beau. L’odeur de la campagne anglaise s’infiltre dans vos narines. Vous arrivez à Sissinghurst, le jardin que l’emblématique écrivain anglais, Vita Sackville-West.

Vita Sackville-West (1892-1962), une personnalité énigmatique, puissante et que Virginia Woolf décrit dans son journal lors de leur première rencontre en 1925 : « Elle brille dans la boutique de l’épicier à Sevenoaks comme une petite bougie, plantée sur ses jambes comme des hêtres, pimpante, grappes de raisin, perles au cou. Voilà le secret de son glamour, je suppose. Quoi qu’il en soit, elle m’a trouvée incroyablement démodée.. »
Une personnalité qui lui inspira une passion amoureuse et un roman : Orlando.
Vita épouse Harold Nicholson en 1913. Ils mènent ensemble une vie dénuée de conformisme. Tous deux sont homosexuels, et comme le dit Harold, ils sont tous deux féministes. Mais leur sexualité n’est pas un sujet, ils sont aussi tous deux très secrets. Une chose est certaine, leur liberté, leur complicité.
En 1930, Harold Nicholson accepte d’abandonner sa carrière de diplomate, pour suivre à son tour Vita dans l’aventure de Sissinghurst, une ruine du passé Tudor, nichée dans le Kent.
Ce jardin devient le symbole d’une vie à l’écart du monde, au centre de laquelle littérature et création du jardin se mêlent et s’enrichissent. Pour Vita, c’est le lieu idéal pour « se perdre dans un demi-sommeil/Submergée : le rêve devenu réalité. »

Comme un buvard, l’encre sur la page a aspiré l’atmosphère de ces lieux, une lente maturation, les échanges entre le passé et le présent sont l’humus de son écriture. Je marche en silence entre les différentes « chambres » (« garden rooms« ) : le jardin des roses, l’allée des citronniers, le jardin blanc. Harold plus structuré a dessiné les plans, Vita de sa manière sauvage, a planté euphorbes, jacinthes, tulipes, phlox, azalées. J’essaie d’entendre le texte qui chuchote sous les feuillages, je me sens traversée moi aussi par le temps, j’ai envie de tout lire, de comprendre comment d’un jardin à la page, toute une vie peut se dire.

Pourtant Vita n’était pas de celle à se dire, plutôt de celle qui se cache. A travers les lignes, les personnages et à travers son jardin, elle parvient à rassembler les différentes facettes d’une personnalité morcelée. Elle écrit vite. Très prolifique, trop, selon Virginia Woolf – elle ne se soucie pas d’explorer les voies nouvelles qui s’ouvrent et ses romans gardent une forme classique. Dans ses romans, Vita traverse le temps, La vie au temps du Roi Edouard (1930) succède à l’ère victorienne, puis l’après-guerre. Toute passion abolie (1931), Dark Island publiés par la Hogarth Press (de Léonard et Virginia Woolf).

A partir de 1946, Vita écrit une colonne pour le journal ‘The Observer’, elle anime aussi une chronique pour la BBC. Ces chroniques horticoles sont un trésor en voie de disparition, que l’on trouve encore si l’on aime chiner, dans les second-hand bookshops en Angleterre.

Je fais la route en sens inverse, le soleil est tombé maintenant, il va pleuvoir peut-être. Je laisse derrière moi, Sissinghurst et ces vies magnifiques, solitaires mais pleines – loin de l’agitation des villes. Et j’aspire à revenir, pour lire Orlando, assise quelque part à l’ombre d’une branche de glycine blanche, sur le banc du Cottage.
Les mots d’un long poème résonnent encore en moi.