Grenoble. 700 km aller/700 retour – longues routes Ouest-Est-Ouest pleines de courbes et de beaux paysages. Au 17ème on roulait en voiture tirée par deux chevaux, on s’arrêtait dans les auberges, on avait peur des bandits de grand chemins, on polluait moins.
A Grenoble, soleil, beauté, Belledone enneigée. Maintenant que je suis à l’Ouest, j’ai la nostalgie des montagnes. Au Sud, Marseille, j’ai toujours envie de prendre racine. Au Nord, Bruxelles, j’aimais la sensation d’être de nulle part.
Nord, Est, Sud.
A l’Ouest, je ne sais pas encore qui je suis. Perdre ses repères, avancer à tâtons les yeux fermés, se raccrocher à ce que l’on connait, s’émerveiller de l’inconnu.
Je m’ancre, je pense à cette maison comme à un rhizome de celle de Virginia Woolf, une racine qui aurait plongé loin et aurait ressurgi ici. Monk’s House ou Charleston, celle où se retrouvait tout le groupe de Bloomsbury. Les livres, les oiseaux, les plantes, la lumière. Tout un univers où se réinventer.
Enfin, quelques livres sont sortis de leurs boîtes pour s’installer dans les bibliothèques, je respire. En retrouvant par hasard La Trilogie de Naguib Mahfouz et j’ai envie de m’imprégner de la chaleur de cet autre Sud, de me perdre dans une autre culture. Pour que cette sensation de perte que l’on ressent, à certains moments, quand on quitte sa maison, quand on quitte ses amis –puisse s’adosser à quelque chose.
« Cette terrasse, avec son petit peuple de poules et de pigeons, son treillis de verdure, était son monde merveilleux et cher, son lieu de distraction favori au sein de ce vaste univers dont elle ne connaissait rien. » Impasse des deux palais, Naguib Mahfouz
Une sensation qui réveille celles plus profondes de l’enfance, Marseille, Les Alpes, le paradis perdu. « L’enfance, proche ou lointaine, est toujours en nous », écrit Nancy Houston, dans Nord perdu. « Se désorienter, c’est… » pour moi, toujours perdre un peu le Sud.
Il y a cette même émotion dans la chanson de Yuma, Smek.
« Ce qui me manque, c’est ma mère, mon lit chaud et mon frangin, Mes beaux jours, mes jeunes rêves et mon père La nuit me manque, comme l’odeur du jasmin »
J’écoute en boucle cette chanson dans un Arabe que je ne parle pas, que je ne comprends pas, qui dit d’autant mieux cette sensation intraduisible, de ce qui manque quand on s’en va.
Et je cherche encore, à ma manière de butineuse, ce qui va m’aider à tracer une route à partir d’ici, où lentement je fais mon nid. Il ne suffit pas de repeindre sa maison, il faut creuser un sillon, regarder où il nous mène.
Être fixe avec des tentacules comme Shiva.
« Ce que nous appelons un lieu est à l’intersection de forces changeantes qui le traversent, se mêlent, s’entremêlent, se dissolvent et explosent en un point fixe. (…) pour comprendre cet endroit il faut s’intéresser aux récits dont il est tissé et s’engager dans des explorations singulières. »
Rebecca Solnit – Encyclopedia of trouble and Spaciousness