Notes de chevet – Sei Shônagon

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Choses qui sont proches, bien qu’éloignées

Le Paradis.                                                                                                                                                             La route d’un bateau.                                                                                                                                         Les relations entre un homme et une femme.

Voyage au Japon avec la superbe exposition Ukiyo-e au Musée du Cinquantenaire de Bruxelles. Pendant que mon regard passait de l’une à l’autre de ces images finement gravées et colorées, mes oreilles bruissaient des souvenirs de Sei Shônagon. Dame d’honneur de l’impératrice Sadako, elle vivait à la Cour à l’époque de Heian et on dit qu’elle avait un esprit vif et moqueur qui faisait trembler les courtisans.

 

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 Pour faire un homme il faut en agglomérer de toutes sortes. 

Sei Shônagon aurait-elle partagé cette pensée, elle qui, sa vie durant s’attacha à décrire les moeurs de ses pairs ? Dans ces « écrits au fil du pinceau » (zuihitsu)  elle évoque à la fois ses sentiments personnels, des paysages sous la lune, la neige, des choses vues ou à peine entrevues, les manifestations infimes du quotidien, les émotions cachées sous un fouillis subtil. La diversité des sujets et des personnages s’approche de l’idée d’Ukiyo-e, qui signifie littéralement « images du monde flottant », images fugitives. Comme l’indique la manière impressionniste dont Sei Shônagon classe les images :

Choses effrayantes, Choses qui emplissent l’âme de tristesse, Choses difficiles à dire, Oiseaux, Arbres, Choses qui font naître un doux souvenir du passé, Gens qui ont un air de suffisance, Choses qui doivent être courtes, Choses tumultueuses, Choses rares, …

Choses qui font battre le cœur

Des moineaux qui nourrissent leurs petits. Passer devant un endroit où l’on fait jouer des petits enfants. Se coucher seule dans une chambre délicieusement parfumée d’encens. S’apercevoir que son miroir de Chine est un peu terni. Une nuit où l’on attend quelqu’un. Tout à coup, on est surpris par le bruit de l’averse que le vent jette contre la maison.

Les journaux intimes florissaient chez les dames de la Cour et les écrits de ces femmes inaugurent non seulement le journal intime, mais aussi le roman.

« Toute la nuit, nous entendons marcher, devant les chambres, des gens chaussés de souliers. De temps en temps, les pas s’arrêtent : on frappe à quelque porte, d’un doigt seulement, et il est amusant de se dire que malgré cela, la dame qui habite cette chambre a bien reconnu tout de suite, à sa manière de frapper, celui qui est là. Parfois, les coups durent très longtemps, et pourtant la dame garde le silence. L’homme pense sans doute qu’elle est endormie. Elle en a du regret ; le bruit d’un corps qui bouge quelque peu, le bruissement d’une étoffe font savoir au visiteur ce qui en est. La dame entend distinctement agiter son éventail. »

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Il ne faut pas hésiter à ouvrir ce livre au gré de son humeur et à s’imprégner de la beauté de ces évocations, de savourer ces épiphanies ou comment, en une phrase faire surgir du quotidien tout un univers.

Choses qui font naître un doux souvenir du passé

Les roses trémières desséchées. Les objets qui servirent à la fête des poupées. Un petit morceau d’étoffe violette ou couleur de vigne, qui vous rappelle la confection d’un costume, et que l’on découvre dans un livre où il était resté, pressé. Un jour de pluie, où l’on s’ennuie, on retrouve les lettres d’un homme jadis aimé. Un éventail chauve-souris de l’an passé. Une nuit où la lune est claire.

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Au printemps c’est l’aurore

Au printemps, c’est l’aurore que je préfère. La cime des monts devient peu à peu distincte et s’éclaire facilement. Des nuages violacés s’allongent en minces traînées. En été, c’est la nuit. J’admire naturellement le clair de lune ; mais j’aime aussi l’obscurité où volent en se croisant les lucioles.

Notes de chevet, traduites aussi Notes sur l’oreiller – à la faveur de cette anecdote racontée par Sei Shônagon – « Un jour, le frère de l’Impératrice Sadako ayant offert une liasse de papier blanc à sa soeur, celle-ci me dit : « Que peut-on écrire là-dessus ? » Je lui répondis que je voudrais me faire un oreiller de cette jolie liasse…L’impératrice me répondit : « Eh bien ! prenez-là ! » Je l’utilisais alors à écrire toutes ces choses, toutes ces bagatelles qu’on trouvera sans doute bien frivoles : des histoires amusantes, des histoires édifiantes, mes impressions, des poésies… »

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Carnet de Hokusai, l’un des maîtres de l’Ukiyo-e  –  Notes de chevet, illustration de Hokusai

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