Rachel Cusk – Disent-ils

 

« Avant le vol, je fus invitée à déjeuner dans un club londonien avec un milliardaire dont on m’avait promis qu’il était célèbre pour ses largesses. En chemise col ouvert, il évoqua le nouveau programme informatique qu’il développait et qui pouvait aider les entreprises à identifier par avance les employés les plus susceptibles de les voler ou de les trahir. Le milliardaire avait tenu à me raconter sa vie dans les grandes lignes, de ses débuts modestes à l’homme nanti et décontracté – manifestement- qui était assis en face de moi ce jour-là. »

 

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Faye se rend en Grèce pour animer un atelier d’écriture. Une semaine pendant laquelle, les paroles des personnes qu’elle rencontre lui parviennent comme en écho à ce qu’elle vit. Le roman est construit comme une agora, ce lieu où les voix se répondent et se rassemblent. Le portrait de la narratrice apparaît en creux.

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«En le regardant, je fus saisie d’une tristesse teintée de confusion comme si son dos était un pays étranger où je m’étais perdue ; ou plutôt que perdue, exilée, car le sentiment que j’éprouvais n’était pas amoindri par l’espoir de tomber sur un élément qui serait familier. Son dos vieilli semblait nous abandonner chacun à nos passés immuables et distincts.»

 

 

 

Patchwork de morceaux apparemment disparates, mais savamment cousus, l’auteur dévoile les questions de chacun sur le mariage, les relations entre les hommes et les femmes, l’écriture, l’impossibilité de dire vraiment ce que l’on ressent. Et sans doute, à travers ces récits s’impose la sensation que chacun se débat contre le silence et la solitude. Mais une solitude haute en couleur à l’image de la manière dont chacun va mettre en place ses propres stratégies face à la vie et à la modernité. Comme Paniotis, l’un des personnages les plus attachants, qui se retrouve seul en voyage avec ses enfants.

« Je demandai à Paniotis de quand datait ce voyage dans le nord avec sa fille, et il dit que cela remontait aux lendemains de son divorce. C’était la toute première fois qu’il emmenait seul ses enfants quelque part. Dans les collines à la sortie d’Athènes, il n’arrêtait pas de jeter des coups d’oeil dans le rétroviseur vers la banquette arrière en se sentant aussi illégitime que s’il les avait kidnappés. »

Rachel Cusk livre aussi un grand nombre de portraits de femmes – chacune à la recherche de sa propre voie. Angeliki, Anna, Elena.

 » Il y a des fois, dit-elle, où je me suis demandé si l’épuisement que j’ai éprouvé à notre retour de Berlin n’était pas l’épuisement collectif que ces femmes refusaient d’admettre et qu’elles m’avaient transmis. On avait toujours l’impression de les voir courir : elles couraient partout, pour aller au travail et en revenir, au supermarché, en groupe pour un footing dans le parc – et si elles devaient s’arrêter à un feu, elles sautillaient sur place dans leurs énormes chaussures de course blanches jusqu’à ce que le feu passe au vert et qu’elles puissent reprendre leur progression. »

Dans ce roman, Rachel Cusk semble avoir emprunté une voie nouvelle, pour répondre à ses questions sur l’écriture. Qu’est ce que la littérature ? Un idéal à atteindre pour certains, s’ils sont prêts  « à s’échapper du zoo ». Reste à savoir sous quelle forme. Dans un superbe article du Guardian, elle explique son délabrement créatif après la sortie de son dernier livre, Contrecoup (dans lequel Rachel Cusk raconte sa séparation), qui a déclenché en Grande-Bretagne un certain malaise – voire de la colère.

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Athènes – Agora

« Pendant presque trois ans, elle n’a pas pu écrire, ni lire. Les romans lui semblaient particulièrement inutiles. Citant Karl Ove Knausgård , elle explique que la fiction lui est apparue « fausse et gênante. Quand vous avez souffert, l’idée d’inventer John et Jane pour leur faire jouer un rôle vous semble totalement ridicule. Mais il fallait qu’elle trouve une autre forme, la veine de l’autobiographie ayant aussi abouti à une impasse. »

 

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